Gestion des conflits en entreprise : les DRH prônent une culture de la médiation
- Aurélya Bilard
- 21 juil.
- 7 min de lecture
Dernière mise à jour : 22 juil.
Le CMAP, Centre de médiation et d’arbitrage de Paris, fête son 30e anniversaire. A cette occasion, Boodoom Le Mag se penche sur cette institution qui accompagne les entreprises dans la résolution de leurs litiges. Car si à l’origine, le CMAP intervenait uniquement dans les contentieux d’origine commerciale, depuis quelques années, il oeuvre aussi au niveau des litiges RH. Quand la médiation devient un outil puissant de gestion des conflits, on en parle avec Sophie Henry, Déléguée générale au CMAP.

Généralement, comment une entreprise qui a besoin de gérer un conflit en interne, fait appel au CMAP ?
Sophie Henry : La plupart du temps, c’est par le biais des DRH qui ont entendu parler du processus de la médiation par leurs conseils, c’est-à -dire leurs avocats. Ces derniers, notamment les avocats spécialisés en droit social, sont souvent prescripteurs. Nous sommes donc directement sollicités par les DRH qui vont nous indiquer leurs problématiques. C’est extrêmement rare que les salariés nous saisissent.
Il y a aussi des dossiers pour lesquels les juges considèrent plus opportun de trouver une solution directement entre les parties. Ils orientent alors les entreprises et les collaborateurs vers la médiation. Le CMAP peut aussi intervenir en amont d’une procédure judiciaire lorsque les avocats recommandent à leurs clients d’essayer de trouver une solution à l’amiable avant d’aller devant le juge. Dans tous les cas, il faut que l’ensemble des parties soient d’accord, ça ne peut pas être imposé. La médiation reste un processus volontaire.
C’est un outil qui n’altère pas les droits à agir de l’entreprise ou du collaborateur. Par exemple, si vous ne trouvez pas d’accord dans le cadre de la médiation, vos droits à agir en justice sont préservés. Ça suspend les délais de prescription. Ça ne vous empêche pas d’agir en justice.Â
Combien coûte la médiation ? Est-ce que ça dispense de recourir à un avocat ?
S. H. : La médiation coûte quelques milliers d’euros en moyenne. Lorsqu’il s’agit d’une médiation conventionnelle, c’est-à -dire qu’elle n’est pas ordonnée par le juge, elle est souvent à la charge de l’employeur. En revanche, lors d’une médiation judiciaire, le coût est souvent partagé entre les parties. Quant au recours à un avocat ou un conseil juridique, ça dépend de chaque dossier. Lorsque l’affaire a déjà pris une tournure contentieuse, l’avocat est généralement présent. Et lors d’un dossier pris bien en amont, sans contentieux, d’origine relationnel, alors l’avocat n’est pas nécessairement présent. Pour les salariés, c’est la même chose. La plupart du temps, lors d’un pré-contentieux en vue d’une rupture potentielle, ils sont accompagnés d’un avocat. Ils peuvent aussi être accompagnés des représentants du personnel, qui sont associés au processus de médiation.
Même si l’avocat n’est pas toujours présent, il peut valider la formalisation d’un accord de médiation. Il sera le rédacteur de l’accord.
Les responsables RH de l’entreprise en revanche ne sont pas nécessairement présents pendant les réunions de médiation. Cela dépend des dossiers et des parties en cause.
En principe, ils initient la médiation et peuvent être sollicités à la fin du processus au moment de la formalisation de l’accord.
Au niveau des salariés, y a-t-il parfois des réticences de leur part ? Doutent-ils de la neutralité du CMAP ?
S. H. : Pour la mise en place d’une médiation, l’entreprise doit au préalable obtenir l’accord du ou des salariés. Quelque fois, l’entreprise nous demande de contacter le collaborateur pour lui fournir des informations sur le déroulé du processus. Nous lui expliquons que nous sommes saisis par l’entreprise qui va financer la médiation, mais qu’ensuite, c’est un médiateur indépendant qui sera désigné pour gérer le processus. Il faut bien comprendre que le médiateur est un prestataire de service, dont on s’assure au préalable qu’il n’a aucun lien avec les deux parties. Il doit signer une déclaration d’indépendance et d’impartialité. Il y a une vérification des potentiels conflits d’intérêt entre le médiateur, l’entreprise et le collaborateur. Le nom du médiateur désigné est communiqué en même temps aux deux parties. Si le salarié ou l’entreprise ne souhaite pas retenir le médiateur proposé, nous en présentons un autre.
Le médiateur conduit la médiation, le CMAP est l’organisme qui s’assure de son bon déroulement.
On imagine que la médiation, c’est aussi pour accélérer une procédure. En moyenne, combien de temps dure un tel processus ?
S. H. : Entre 12 et 15 heures de médiation en moyenne. Mais, au regard d’une procédure judiciaire, qui elle, dure entre un à trois ans, on comprend rapidement les bénéfices de la médiation pour trouver une solution à l’amiable.
Le médiateur mène des réunions séparées pour écouter individuellement les collaborateurs et les représentants de l’entreprise. C’est probablement la phase la plus longue, mais elle est nécessaire. Le médiateur peut ensuite mener des sessions plénières. Pour être efficace, le processus doit être rythmé. Le temps de la procédure est hyper condensé. Le plus difficile étant surtout de trouver une date pour réunir les parties.
Dans le cas d’un litige entre un collaborateur et une entreprise, on pense surtout à des contentieux menant à la rupture du contrat de travail. Mais le CMAP intervient sur d’autres types de conflits. Y a-t-il un dossier qui vous a étonné ?
S. H. : Il est juste que lors d’un pré-contentieux, une entreprise fasse appel à la médiation pour que ça se passe bien, et qu’on l’aide à mettre en oeuvre les conditions de la séparation dans de bonnes conditions. Mais, il y a bien d’autres typologies de conflits : une mauvaise organisation dans une équipe, une communication rompue, une répartition des tâches inadéquate, un problème relationnel entre deux personnes, des conflits liés aux congés ou à un email avec la mauvaise personne en copie…
Nous avons traité par exemple ce qui semblait au premier abord être un conflit entre les deux assistantes d’un même manager. Elles ne s’entendaient pas, au point que l’une disait qu’elle était en burnout quand l’autre était en arrêt maladie. C’était compliqué et au bout du compte, le manager n’avait plus d’assistantes opérationnelles. Il a souhaité mettre en place une médiation. On s’est rendu compte qu’il n’y avait pas de problème relationnel, mais un problème organisationnel : le manager ne répartissait pas bien ni les tâches, ni les consignes. Conséquences : l’une et l’autre pensaient qu’on empiétait sur leurs missions. Nous avons inclus le manager dans la boucle de la médiation, car il faisait partie du problème. La médiation permet de comprendre l’origine du conflit.
Souvent, ce sont de petites choses qui vont désorganiser un service. La médiation, c’est un travail de fourmi. On revient aux origines du conflit, on se parle, on peut s’excuser aussi, on peut comprendre une réaction. Il y a 5 étapes majeures :Â
le médiateur travaille sur les faits : que s’est-il passé ?
Il confronte ensuite les faits : chacun exprime comment il a vécu la situation.
Le médiateur reformule pour bien comprendre la situation.Â
Vient ensuite l’étape de la reconnaissance des positions des autres : chaque partie comprend pourquoi l’autre en est arrivé là .
Puis, un travail est réalisé sur les besoins réciproques des personnes pour trouver des solutions.
Le médiateur détricote ces étapes-là pour à chaque fois avancer un peu plus vers la résolution du conflit. Il travaille avec les collaborateurs et les managers sur une feuille de route. Un processus peut être créé pour telle ou telle situation ; les parties s’engagent à le suivre. Et s’il y a un problème malgré le respect du process, les personnes concernées sont invitées à se parler.
Avez-vous des retours sur l’impact de la médiation sur la santé mentale des collaborateurs et/ou des dirigeants ?
S. H. : Sur des dossiers individuels et collectifs, nous avons des retours sur le fait que la médiation a permis de désamorcer des tensions entre deux personnes ou au sein d’une équipe. Même si on n’aboutit pas à un accord global - il peut y avoir des bouts de solutions -, ça permet en tout cas de rétablir la communication. Les gens s’expriment, se parlent de nouveau. C’est l’un des grands atouts de la médiation : redonner la parole aux acteurs d’un conflit pour qu’ils puissent se comprendre les uns les autres. Ça ne veut pas dire qu’ils vont trouver nécessairement une solution, mais avec l’aide du médiateur, ils vont comprendre quelle est la position de l’autre, pourquoi il a eu ces actions et comportements.
Quel est votre regard sur l’avenir de la médiation ?
S. H. : La médiation, nous la pratiquons depuis plus d’une quinzaine d’années en RH. Et je constate que nous travaillons de plus en plus avec des DRH qui souhaitent mettre en place des dispositifs de médiation internes. Nous avons notamment accompagné des organisations comme Thales ou La Poste. Le monde de l’entreprise s’intéresse à la médiation, car ça permet d’apaiser les tensions. Nous formons les personnels RH pour qu’ils puissent identifier le conflit, le désamorcer, l’analyser. Nous les dotons d’outils pour qu’ils puissent savoir si la direction RH peut régler le problème ou s’ils doivent se tourner vers une médiation, lancer une enquête, trouver un médecin expert, etc. ?
Cette culture de la médiation est demandée par les professionnels RH eux-mêmes. Ils ne deviendront pas forcément des médiateurs en tant que tel, mais ils vont comprendre les mécanismes de l’escalade du conflit. Une petite anicroche entre deux personnes peut prendre des proportions importantes au travail. Les salariés portent en eux la crainte d’une réorganisation, d’un plan de licenciement, de perdre une mission, une place, un poste… Il y a beaucoup de peur et de pression au sein des entreprises, au point que les gens n’osent plus se parler.
La médiation reste un processus confidentiel, souple et qui peut concerner n’importe qui au sein de l’entreprise. C’est un outil juridique parce qu’il est encadré et prévu par la loi, mais c’est un outil puissant de gestion des conflits qui se met à la portée de tous. Je reste optimiste car chaque entreprise peut se l’approprier avec sa propre culture.